Bonne Justice
C'est la chaude loi des homme
Du charbon ils font du feu
Du raisin ils font du vin
Des baisers ils font des hommes
C'est la dure loi des hommes
Se garder intact malgré
Les guerres et la misère
Malgré les dangers de mort
C'est la douce loi des hommes
De changer l'eau en lumière
Le rêve en réalité
Et les ennemis en frères
Une loi vieille et nouvelle
Qui va se perfectionnant
Du fond du cœur de l'enfant
Jusqu'à la raison suprême.
Bonne Justice,
Paul Éluard, (1895-1952)
Introduction
La loi, un ensemble de règles qui s'impose à tous, qui a été votée par nos représentants, les parlementaires. La loi fixe des règles
précises, la liberté individuelle, le temps de travail, les sanctions des délits. "Au nom de la loi je vous arrête", je vais vous présenter au juge. Une bonne Justice est-elle possible qui
satisfasse les deux parties, l'offenseur comme l'offensé ? Il y a des lois douces, chaudes mais aussi dures, des lois vieilles, nouvelles. Comment une justice peut elle être bonne dans toutes les
conditions ?
1- Il n'y a pas de bonne justice
Non il n'y a pas de bonne justice, car chacun en a sa propre définition selon des idées reçues, ses goûts, ses valeurs. Eluard nous précise la
chaude loi des hommes, un ensemble de liens sociaux non définis qui régit certaines activités ou certains comportements autour d'une idée ou d'un travail. C'est un thème favori du parti
communisme, une sorte d'apologie d'un communautarisme sans d'autres loi que l'affection et la chaleur de ses participants. C'est l'image d'une espérance, de vendanges collectives entre voisins,
d'assistance, de bénévolat, de prêts, de fraternité. Puis il y a la dure loi des hommes, les nécessités de la vie, la compétition, la concurrence, les jalousies, qui rendent certaines choses
difficiles voire très conflictuelles. Il y a des guerres entre États, parfois des guerres civiles dans un même État. Des médiateurs, des observateurs essaient bien de trouver des solutions mais
elle sont rarement applicables. Dans ce monde de guerres et de misère, il est bien difficile d'une part de rester vivant mais aussi de rester neutre, on s'emporte devant des situations que l'on
trouve injustes. Eluard s'engagera plus profondément en politique après la guerre d'Espagne. Enfin la douce loi des hommes, une sorte d'accord amiable dans la réalisation de certains projets. Cet
accord amiable est souvent le résultats de conciliations, de concertations entre des parties adverses, chacun avançant ses arguments. Les ennemis deviennent frères. Cette justice douce est
souvent recherchée dans les conflits familiaux, ou les conflits du travail, un médiateur essayant toujours dans un premier temps de réconcilier les parties, de recoller les morceaux. Ce
conciliateur neutre essaiera cependant de trouver des solutions appropriés ou une juste réparation.
2- A chacun sa justice
On dit souvent qu'une bonne justice est indépendante, impartiale, neutre. Mais on ne peut condamner que selon une échelle de valeurs, de peine. Eluard
a écrit son poème en cercles concentriques, une image de perfection, de boucle achevée, ronde, sans aspérité. Il croit en la perfectibilité de l'homme, en l'amélioration de ses rapports avec
autrui et pense que la loi nouvelle sera comprise et acceptée de tous. Fruit d'un large consensus, la nouvelle loi sera neutre, pure et la justice rendue mettra en lumière l'argument, la raison
suprême. Elle s'imposera naturellement.
Conclusion:
En reprenant les anaphores avec "c'est", "du" pour nous présenter les différents liens qui unissent les hommes, Eluard nous donne sa propre
vision de l'évolution de l'humanité, un monde plus fraternel, plus humain, plus juste. Il avait compris que toute injustice ou tout sentiment d'injustice ne pouvait que conduire à des conflits.
Il croit en la nature humaine et une amélioration des lois régissant les États pour le bien de leurs citoyens et le bien général. L'histoire lui donne hélas bien tort.