L'on sait que le poète avait l'espoir en 1878, date à laquelle le poème fut écrit, de persuader Mathilde Mauté de reprendre la
vie conjugale... d'où le qualificatif de "tendre prière" qui a été donné à cette pièce, la candeur - feinte ou sincère - que l'on a relevé dans les vers ainsi que le choix
des mots : "Écoutez" "Accueillez" "épithalame" qui est le nom d'un chant célébrant le mariage !
1 - Le repentir de Verlaine
Poète maudit ? Poète populaire ? Paul Verlaine, par sa fragilité et sa violence, sa tendresse et ses dérèglements nous
choque profondément mais sait aussi mieux que personne nous émouvoir et nous apitoyer sur sa condition. Verlaine semble un peu vite oublier dans ce poème la gravité de ses
torts dans la fin rapide de son mariage avec Mathilde Mauté, une jeune fille de 16 ans (il en a 26). Dans La Bonne chanson Verlaine avait célébré sa petite fiancée, un "Etre
de lumière" qu'il allait épouser et avait chanté son amour et ses bonnes résolutions dans des vers simples et intimes. Dans ce poème Verlaine demande à Mathilde d'écoutez
son chant d'amour, une chanson bien douce à laquelle il ajoutera en fin de poème une autre qualité, la sagesse. Pendant ses deux années de prison 74/75, Verlaine éprouve
d'amers regrets et un repentir sincère. Il voudrait reprendre la vie commune avec Mathilde mais ayant appris qu'elle a obtenu en mai 1874 la séparation, il en éprouve une
douleur cruelle qui achève de la ramener à Dieu. Il reconnaît avoir erré dans la corruption et obtenus des chagrins mérités, un avertissement divin en quelque sorte. Après
sa libération Verlaine s'efforce de vivre selon son idéal chrétien. S'il déplore sa propre faiblesse, cause de ses malheurs, il nous apparaît pauvre pécheur et demande
pardon, le vieux cœur flétri et souillé fait place à un jeune cœur lavé par la souffrance et par la grâce tout vibrant d'amour.
2 - L'intimité verlainienne
Espoir et tristesse, candeur et habileté, appel pathétique et confidence murmurée, tels sont les succès de l'intimité
Verlainienne. C'est par les inflexions de la voix que Verlaine argumente. La voix qui chante l'amour et qui fut chère à Mathilde sanglote désormais ou plutôt frissonne,
palpite. Elle s'est obscurcie, voilée mais garde des tonalités de grandeur. Si on reconnaît cette voix, elle parle de bonheur dans la simplicité, dans la bonté. Par habileté
et comme pour emporter l'adhésion de Mathilde il lui dit "allez", rien ne sert de souffrir.
3 - Une simplicité sans
attente
Charnière du poème, la chanson douce "parle aussi de gloire" et "d'être simple sans plus attendre", du "bonheur d'une
paix sans victoire". La conversion de Verlaine, un appel divin, implique inévitablement des changements au concret de l'existence, notamment un abandon des rêves de gloire
littéraire et de vie facile. Verlaine veut désormais s'ensevelir dans une existence calme et sans histoire, une "vie humble aux travaux ennuyeux et faciles". Mais si
"l'enfer c'est l'absence", Verlaine éprouve toujours ce besoin de compagnie. La compagnie que Mathilde lui refusera, il la trouvera avec un de ses élèves Lucien Létinois
dans une expérience de travaux agricoles qui persistera quelques mois.
Conclusion
Poème touchant, pathétique, écoutez la chanson bien douce traduit le nouvel idéal chrétien du poète après son
internement. Sa chanson nous émeut, son repentir parait sincère. Toutefois nul n'est assez naïf, ni même lui-même, pour croire que sa nouvelle morale qu'il qualifie de
claire en fin de poème durera bien longtemps.