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           Les Corbeaux
               
SEIGNEUR, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus ...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.

 
Armée étrange aux cris sévères,
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et, sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !

Par milliers, sur les champs de France,
Où dorment des morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas l'hiver,
Pour que chaque passant repense
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !

 
Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir char,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.
Les Corbeaux, RIMBAUD, (1854-1891)
Pistes  de lecture ;
1-Un mémorial aux morts :

          Les corbeaux pour raviver le souvenir et éviter l'oubli
          Les corbeaux, une image d'immobilisme, de fonctionnaire

2-Un double échec :

          L'échec de la guerre franco-allemande de 1870
          Un échec Rimbaldien de mouvement et d'avenir
          Un enterrement à peine dessiné

Introduction :

    Ce poème composé de quatre sizains (strophe de six vers) à rebours en octosyllabes (vers de huit syllabes)  à rimes embrassées (abba) suivies derimes plates (aabb) est tout simplement une comparaison entre sa défaite littéraire auprès des salons parisiens lorsqu'il revient dans les Ardennes en 1872 et la défaite française dans la guerre franco-allemande de 1870.

Le titre à lui seul donne le ton au poème, il s'agit de corbeaux qui s'abattent l'hiver par milliers sur les campagnes pillant les champs ensemencés ou les prairies. Le premier sizain est un simple constat de la nature en hiver et de l'arrivée de ces oiseaux magnifiés ( idéalisés, rendus beaux) par "cher corbeaux délicieux". Dans une première lecture, ce qualificatif peut surprendre car ces oiseaux ne sont pas chassés pour leur qualités gustatives  (du goût ) , ce sont des oiseaux peu farouches. La multitude des corbeaux indique un destin collectif, il s'agit d'une armée animée d'un objectif de conquête ou de défense qualifiée d'étrange. Cette armée communique par des cris, sons proférés dans des états de colère, et est poussée hors de son territoire naturel le long des fleuves et des routes en raison d'éléments naturels contraires. "Dispersez-vous, ralliez vous" qui apparaît comme une stratégie naturelle chez ces animaux pour échapper à leurs prédateurs devient ici une devise appelant des parties adverses à se réunir autour d'une même idée.

Un crieur du devoir

    Notre corbeau qui pille les récoltes en poussant des cris rauques nous appelle simplement en fait à notre devoir de souvenir. Ces oiseaux noirs nous rappelle, en une sorte de mémorial mobile, l'existence des faits mémorables de notre histoire. La couleur noire de ces oiseaux, celle de la mort, du deuil, ne peut que rappeler celle d'un monde d'un monde où sont niées les valeurs que l'on sait fondamentales pour Rimbaud le mouvement et l'avenir. Le noir devient le symbole de l'absence de tout mouvement, la mort. Ce mouvement Rimbaldien à fois d'expansion et d'harmonie emporte chaque sizain d'une seule coulée rythmique sans pause ni césure ( coupe, pause) jusqu'au vers final qui apparaît comme un point d'orgue idéologique. Le rythme du mouvement est chaotique avec l'emploi de "tournoyez" amplifié et accéléré par les allitérations (répétition de la même consonne) en "p" et "s", de l'assonance (répétition de la même voyelle) "an" de "passant repense".

Un souvenir de défaite

     Il ne s'agit pas d'oublier les morts, surtout les soldats tués lors de la défaite française de la guerre. On se souvient souvent injustement des gagnants et rarement des perdants. Par cette image Rimbaud nous appelle à se souvenir également de lui qui vient de connaître une défaite. En commençant par "seigneur" le poème prend la forme d'une prière, d'une requête à Dieu, confirmée par la présence de "saints" dans le dernier sizain. Notre auteur attend un miracle, un nouveau départ, un nouveau printemps. On sait l'importance des saisons chez Rimbaud, son printemps est annoncé par la fauvette de mai. La fauvette de mai au chant agréable c'est Rimbaud. La fin du poème est désespérément pessimiste. Les trois derniers vers commencent par "laissez", un terme d'abandon que l'on retrouve parfois associé au verbe tomber, aller qui indique le désarroi de l'auteur qui attendait un succès immédiat de sa poésie. Désabusé en ce début 1871, par sa nouvelle fugue vers Paris en raison de l'occupation de sa ville de Charleville par les allemands puis par le début de la commune de Paris, autant d'événements qui font passer au second plan ses préoccupations littéraire, le poème s'achève sur un enlisement, un enterrement. Désormais il ne peut plus fuir et il constate définitivement sa défaite, il n'y avait dans sa poésie comme dans la défaite plus d'avenir.

Conclusion :

   Le poème "les corbeaux" est un registre obituaire (consacré au mort) , une liste de défunts dont on doit célébrer l'anniversaire de la mort. Parmi ceux-ci des soldats mais aussi Rimbaud vaincu par ses aînés du Parnasse. Toutefois ce poème est remarquable et montre que la nature est prépondérante chez Rimbaud pour nous faire passer ses états d'âme.


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